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Photo du rédacteurJana Call me J

Prendre le vent aux vents des globes

D'abord parce que je pensais que c'était vraiment comme ça, qu'on écrivait le Vendée Globe, la plus grande course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance. (C'est dans ces moments là que je me souviens que je viens d'ailleurs).

Et ensuite parce que quand les voyages et les émotions fortes te manquent, vivre par procuration celles des autres, ça appuie sur les boutons de ton ascenseur émotionnel. Et on aime ça par là.


Depuis 62 jours j’ai une nouvelle petite routine journalière : (presque) tous les soirs, avant de m’endormir, dans mon lit, je me colle mes écouteurs, et choubidoubidou confort moelleux et tout, sous la couette, je lance sur ma tablette les vidéos du jour que nous envoient les skippers de la course en solitaire du tour du monde : le Vendée Globe.


Pour rendre l’expérience encore plus submersive il y a « Virtual Regata », l’application à télécharger, où vous aussi devenez skipper dans la régate. J’ai mon voilier, j’étudie les vents, essaye d’attraper les autres, en sortant mon drap en guise de Spi et l’oreiller en voile de petit vent, en guise de piraterie.

Après tout, Clément (Giraud) navigue aussi sur sa Compagnie du lit / Jiliti (ça chante, hein ?)


Ainsi, tous les soir je retrouve Boris (Herrmann), le premier allemand dans cette régate (et tellement beau gosse, sourire, yeux bleu …. mais graaave love, c'est autre chose que les footballeurs, je dis ça moi.... allez voir 😉).

Il y a Clarisse (Crémer) – ma copine, qui s’ébouillante l’entre-jambes dès le départ de la course en se faisant un Tea Time. Comme quoi on peut sortir du HEC et pas savoir tenir une tasse - mais tant qu'on ne la boit pas .. (pouam-pouam-pouaaaamm). Yannick Bestaven qui prend la tête de la course depuis les mers du sud en passant en premier le redoutable cap Horn et dont les stratégies surprenantes payent – après s’être fait défoncé le nez et le moral par la tempête (en vrai). Il y a Isabelle Joschke, qui garde farouchement sa 8ème place parmi les hommes de tête, femme skipper la mieux placée dans sa belle trajectoire jusqu’à ce que cette injuste avarie de quille la ralentisse. Malgré tout elle s’adapte et repart d’aussi belle.


Et puis, il y a eu cette nuit, cette horrible nuit au Sud Ouest du cap de Bonne-Espérance, où Kevin Escoffier, skipper de PRB, lançait cet effroyable message au moment où je me glissais semi-inconsciente dans les bras onctueux de Morphée :


Je coule. Ce n’est pas une blague. MAYDAY»

Arrachée de la torpeur somnolente, j’ai bondi dans le lit, pupilles fixés sur la tablette, je crois que je devenais bleue (respire), comme tous ceux qui suivaient la course.


Imaginez cette scène d’horreur où le bateau s’est replié sur lui-même dans une vague à 27 nœuds, pliant l’étrave à 90° et l'eau qui envahit tout en quelques secondes. L'électronique qui fume, les lumières qui clignotent et s'éteignent, dans un brouhaha de vagues et de sifflements métaliques. En moins de deux minutes, Kevin s’est pris une déferlante se retrouvant projeté à l’eau avec son radeau de sauvetage dans la nuit, la mer froide et les vagues qui font 7 mètres. Le radeau se prend les vents de 35 nœuds. J’imaginais, non, je ressentais, ce sentiment d’effroi que sa femme devait ressentir imaginant son bonhomme, tout petit, perdu au milieu de cette masse d’eau noire et assourdissante au sud de l’Afrique. La direction de la course déroute Boris Herrmann, Yannick Bestaven, Sébastien Simon et Jean Le Cam, les 4 skippers les plus proches de l’endroit d’où est partie la balise, suivie depuis par un silence angoissant. Les skippers s’investissent à fond dans la recherche d’un des leurs. Héroïques, vu les conditions météo : la visibilité est terrible dans la houle, la Lune crée des reflets trompeurs sur la crête des vagues éblouissant sur les brisures de ces milliers de miroirs.


Et subitement, Jean est arrivé ! Jean Le Cam, le Roi Jean :


« Je le vois, je vais vers lui »


Mon cœur bondi et ri, j’applaudis dans mon lit, je serre les bras et, même si ce n’est pas le genre de la maison, je prie. Parce que ce n’est pas gagné. Il faudra arriver à l’aborder et avec ce temps, il faudra s’appeler Tom Cruise pour arriver à grimper sur un bateau dans une mer aussi formée.

« Je l’ai perdu, je ne le vois plus ! »,


Je colle mes deux mains sur ma bouche pour étouffer le cri (et pas réveiller le mari). La voix de Jean tremble du désespoir qu’il ressent à l’idée que le petit radeau et son bonhomme puissent être ravalés par le géant.


C’est encore pire qu’avant. Le trouver pour le reperdre c’est encore pire. Ne pas le voir, on n’y peut rien, mais le voir et le perdre à nouveau, le Roi Jean est effondré. Surtout, qu’en 2008, Jean a été sauvé à son tour par Vincent Riou au Cap Horn après un chavirage suite à la perte de sa quille.


Il a une dette dans sa tête, Jean. Le bateau qui l’avait sauvé, ce même drapeau vient de couler.


S’ensuit un long silence radio. Silence des radars. Plus de nouvelles de Kevin. Plus de réponse de Jean. Je fixe l'écran de la tablette dans le noir. J'encourage les ondes wifi et les pixels mobiles à s'agiter pour le trouver, donner un signe de vie, un espoir. Et d'un coup : « Il est à bord avec Jean ! On vient de le voir».


Quelques mots rapides sans plus de détail ont surgi au cœur de la nuit. Un immense soulagement pour l’ensemble de la team, la famille de Kevin et tous les acteurs du Vendée Globe en mer, mais aussi à terre.


A 2h18 heure française le Roi Jean récupère Kevin Escoffier sain et sauf. Yes We Cam ! (elle n’est pas de moi, c’est son credo, à ce marin hors normes à l'humanité débordante et l'humour décalé).


Je peux enfin m’endormir, moi aussi.

Et c’est comme ça tous les jours.


Le matin on essuie les larmes de Pip (Hare), - comment ne pas être admiratif lorsqu'elle descend dans l'eau (une dingue) attachée à la proue pour changer son safran dans les conditions tellement rudes 😳


Le soir on fait la vaisselle avec les boules de neige avec Maxime (Sorel), on écoute du métal dans la tempête avec Arnaud (Boissières) sur sa Mie Câline (j’adore ce nom et la gentillesse de ce skipper !) et on essaye de pas s’enfoncer la fourchette dans l’œil en mangeant sur le Rock 'n' Roller Coaster avec Charlie (Dalin) l'architecte de la course, pendant que Romain (Attanasio) tout enthousiaste nous fait visiter les îles Falkland Islands et que Louis (Burton) riant nous donne le tournis du haut de son mat où il grimpe pour réparer sa grande voile.


Venez, rejoignez-moi jusqu’aux Sables d’Olonne, pour la tête de course il reste encore tout l'Atlantique à remonter, et certains ne sont pas encore au cap Horn, c’est passionnant, ça fait peur, ça fait du bleu aux yeux, du gris partout, du sel et du soleil, de la glace et de la menace, de la vitesse et un pu…in de dépassement de soi.


Ils sont drôles, attachants, impressionnants, ces marins qui nous offrent de l’air, cheveux aux vents.



Pour ceux qui ont rejoint «ma» régate en cours de route, si vous êtes toujours d'humeur liseuse, vous trouverez ici un ancien article qui raconte ma rencontre avec la voile et avec Marc Thiercelin, ce navigateur hors pair :

« … Six années de navigation et au bout c’est la tempête, le vent qui a démâté ce bateau qu’on a construit de nos mains, de toutes les minutes de nos temps. Et tous dans la mer, en pleine tempête. Essayer de se raccrocher pour le retourner, entendre mon père crier de nous éloigner pour ne pas nous blesser, une chorégraphie en mode survie.

C’était la dernière fois que j’ai hissé les voiles et depuis, je les regarde partir, impressionnée.


J’ai coulé deux fois, mais survécu à chaque fois. Alors je la sais terrifiante, saisissante, cette mer envahissante. Passionnante… » SUITE



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