Chère Rédac,
Abonnée à mon magazine féminin préféré, VOGUE Paris, je prends mon premier café matinal en feuillant le dernier numéro. C’est mon petit plaisir perso dominical, que très rarement osent interrompre autres humains et félins de ma maisonnée.
Dans ce numéro, la photographe de mode que je suis, s’émeut de l’édito d’Emmanuelle Alt sur Karl Lagerfeld dont on revoit avec plaisir les photos publiées par le passé ; le rappel des photos d’Irving Penn, ce grand magicien ; les magnifiques réalisations des shootings photos des Thibault, Philippe, Chis, Thomas, Bastien, Gregory, Nathaniel, Ben, Florent, Alasdair, David, Lachlan…
Heu ….
Attendez un peu, je n’ai pas du bien regarder tous les noms des talents qui ont contribué à nous faire rêver dans ce numéro ; il doit bien y avoir des femmes photographes dans ce magazine fait par, avec et pour les femmes ?
Je repars au début du magazine, je feuillette scrupuleusement, espoir au cœur, je cherche et si, Inez est là, même en couverture. Soulagement. Présente dans Vogue depuis des années, Inez serait-elle rassurante puisqu’accompagnée par Vindoodh, l’homme ? Raccourci qui ne cherche absolument pas à minimiser le talent de cette grande photographe.
Toutefois, AUCUNE femme photographe seule n’a signé de photo shoot dans ce numéro. Corrigez-moi, je vous prie.
Ceci n’est même pas un combat pour la parité, mais la question à laquelle je ne trouve pas de réponse, je vous la pose :
«Pensez-vous que les femmes photographes ont à ce point moins de talents que les hommes photographes ? Femmes françaises de surcroit ?»
Si vous le pensez, alors ce fonctionnement est cohérent.
Mais si vous ne le pensez pas, quelle raison pousse Vogue à pérenniser ce qu’on appelle communément « l’invisibilité des femmes photographes » exprimée par ces minuscules 12 pour-cent de femmes représentées dans ce métier ?
Avez-vous seulement fait la démarche d’aller chercher les femmes photographes ?
Nos dossiers sont-ils trop discrets, trop peu visibles ?
(“Elles ne sont pas là. Elles ne sont pas connues, elles ne sont pas copains avec untel, ne font pas partie du réseau” ?)
Naïvement, certainement, je pensais que les podiums des défilés où je me retrouve la plupart du temps être la seule femme photographe présente, étaient une vieille tradition machiste non représentative de la nouvelle ère dont ceux qui nous représentent, comme Vogue, ne véhiculeraient certainement pas l’image qui rend les femmes artistes transparentes.
Alors que vous êtes 48% d’actrices présentes dans la presse : éditorialistes, journalistes, assistantes ou réalisatrices, (seuls noms féminins signés sous vos reportages photos), seulement 12 % des photos publiées dans la presse quotidienne sont signées par des femmes et ce numéro ne confirme pas seulement cette règle, mais l’accentue tristement plus encore.
Si nous sommes invisibles alors qu’omniprésentes devant tous les objectifs, agissez et rendez-nous visibles aussi derrière ces mêmes objectifs.
Je m’appelle Jana, « Jana Call me J » je suis photographe de mode, et vous invite à essayer de vous rappeler les noms de femmes photographes connues, autres qu’Annie Leibovitz.
Voyons si j’arrive à me rendre visible.
Bien cordialement,
Jana
*sources
Secrétariat d’État chargé de l’Egalité
Cette lettre ne cible pas que Vogue (que j'aime beaucoup, ce qui m'attriste d'autant plus), elle est généraliste pour toute la presse et pourrait partir à chaque grande rédaction. Prenez n'importe quel magazine et cherchez le nom des photographes, vous serez surpris par l'incroyable déséquilibre des nombres. Et je terminerai en citant un paragraphe de l'association "FemmesPHOTOgraphe" :
"Il ne s’agit pas ici de mettre en opposition les genres, les êtres ou les visions, mais de pallier l’invisibilisation récurrente de l’expression d’une partie de la population, de ses vécus, ses ressentis et ses perceptions, afin de donner à voir la diversité du monde dans sa réalité et à sa juste valeur."
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